mercredi 21 mai 2014

Les moniales bouddhistes du temple de Songdhammakalhyani : un combat spirituel et social

Il m'arrive de tomber sur un article si intéressant que cela serait vraiment dommage de ne pas partager l'information par la seule peur de trop s'écarter du sujet initial du blog. Les femmes moines bouddhistes du temple de Songdhammakalhyani sont, par leur mission pacifique et spirituelle, diamétralement à l'opposé des femmes guerrières que je vous présente régulièrement mais il est sûr qu'elles ont le même courage que ces dernières. Aussi, elles ont leur combat à elles : restaurer l'ordre des Bhikkhunis, un ordre monastique bouddhiste exclusivement féminin qui avait disparu au fil du temps.

The Rise of Buddhist Feminism?
Des moniales thaïlandaises de
l'ordre des Bhikkhunis dans le jardin du monastère.

L'origine des Bhikkhunis, ordre monastique bouddhiste féminin

Selon la tradition bouddhiste, le Bouddha aurait créé au Ve ou VIe siècle l'ordre des Bhikkunis 5 ans après avoir fondé l'ordre des Bhikkus, c'est à dire celui des moines masculins que l'on connait tous.  La première femme que le Bouddha aurait ordonné fut sa mère adoptive et tante maternelle, Mahaprajapati Gautami. Néanmoins, les Bhikkunis restèrent moins nombreuses que leurs homologues masculins, notamment par le fait que l'ordination est plus longue et plus complexe. Une femme doit tout d'abord obtenir le consentement de sa famille et de son mari, elle doit également servir en tant que novice plus longtemps que les hommes et son ordination nécessite la présence de deux moines des deux sexes alors que les Bhikkus n'ont pas besoin des Bhikkunis pour cela. Selon le courant bouddhiste et selon les lois en vigueur (celles-ci étant changeantes au fil du temps mais aussi en fonction du pays dans lequel le temple se trouve), ces exigences peuvent varier, ce qui explique également pourquoi l'ordre des Bhikkunis s'est éteint dans certains pays alors qu'il a subsisté partiellement dans d'autres. Par exemple, l'ordre des Bhikkunis s'était éteint au Sri Lanka car l'ordination d'une nouvelle moniale (femme moine) nécessitait l'accompagnement de 10 autres Bhikkunis confirmées alors qu'en Chine un homme moine peut ordonner une Bhikkuni. 

Le Bouddhisme, une religion sexiste?

Le 14e Dalaï Lama, Tenzin Gyatso et
Jetsunma Tenzin Palmo,
l'une des rares abbesses occidentales.
Le traitement imposé aux Bhikkunis laisse pourtant perplexe : elles sont soumises à 8 lois qui appuient la supériorité de leurs homologues masculins (entre autres: une moniale ne peut pas faire de reproche à un moine mais l'inverse est possible, une moniale, bien que plus âgée, doit toujours s'incliner devant un moine). Hiérarchiquement, elles sont donc soumises aux Bhikkus. Selon les traditions, l'écart entre les moines et les moniales est plus ou moins grand. Dans certains cas, elles ne s'occupent que de l'entretien des monastères et de la préparation de repas. Pour certains bouddhistes, être née femme est un signe de mauvais karma dû à une vie antérieure mauvaise et si une femme touchait au sacré de son impureté spirituelle, cela serait un blasphème. Aussi, il existe un schisme entre les courants bouddhistes actuels et certains d'entre eux n'acceptent pas les Bhikkunis actuelles car ils ne reconnaissent pas leur ordination. Ils voient même dans la réapparition de leur ordre comme un signe du déclin de leur religion. D'autres bouddhistes en revanche sont favorables envers la réapparition des moniales car le bouddhisme est avant tout une religion d'acceptation et de respect et selon eux, le Bouddha n'aurait pas décidé de créer l'ordre des Bhikkunis s'il avait nié aux femmes la possibilité de s'élever spirituellement. Après tout, les règles et la hiérarchie religieuse est un fait des Bhikkus tout au long de l'Histoire et non du Bouddha lui-même. Ce sont des hommes qui auraient écarté les femmes de la sphère spirituelle par leurs décisions et qui auraient altéré le dessein que le Bouddha avait pour les Bhikkunis. Il est à noter que l'actuel Dalaï Lama s'est exprimé plusieurs fois en faveur de l'ordination des femmes. Ce dernier se considère même comme féministe et a déclaré que sa prochaine réincarnation pourrait bien être une femme...

La renaissance de l'ordre des Bhikkunis

The Rise of Buddhist Feminism?
Des Bhikkunis se recueillant à l'intérieur du temple.
Depuis une vingtaine d'année, un engouement des femmes bouddhistes a permis à l'ordre des Bhikkunis de renaître. C'est le cas de Voramai, une Thaïlandaise qui fut la première femme ordonnée moniale dans le courant bouddhiste Mahayana depuis bien longtemps. La fille de Voramai, la Vénérable Dhammananda, a décidé de suivre la voie ouverte par sa mère en devenant elle même la première Bhikkuni dans un autre courant, celui du Theravada et en fondant le temple Songdhammakalhyani. Pour ce faire, elle a voyagé jusqu'au Sri Lanka pour se faire ordonner, ce qui secoua les moines thaïlandais. En effet, l'ordination des femmes de ce courant ayant été explicitement interdit en 1928. Selon Dhammananda, les Bhikkus sont dans l'erreur : "l'ordination [des femmes] provient du Bouddha. Si l'on respecte le Bouddha, il faut tout faire pour rétablir ce qu'il a établi".  Selon la moniale Karma Lekshe Tsomo, fondatrice de Sakyadhita, la plus vaste organisation bouddhiste féminine, il est temps que les femmes accèdent aux mêmes rôles que les hommes dans les fonctions spirituelles et dans l'enseignement au lieu d'être reléguée aux tâches ménagères dans le monastère. "Regardez, dans la plupart des centres bouddhistes, ce sont les femmes qui sont dans la cuisine. Regardez dans les bureaux, qui s'occupe de l'administration? Qui sert de chauffeur, qui s'occupe des correspondances, de l'organisation, du nettoyage et des courses? Presque uniquement les femmes." Voramai, Dhammananda Karma Lekshe Tsomo et les autres Bikkhunis se battent pour leur reconnaissance mais aussi afin de changer leur statut. Il faut que les mentalités changent mais les réformes sur les lois à l'échelle de leur pays sont également nécessaires. En Thaïlande, les moniales n'ont pas droit aux avantages dont les moines masculins disposent: couverture sociale, remboursement des soins. Parfois, les Bikkhunis se fient à la générosité de leur entourage et de leurs disciples. Par exemple, les frais médicaux de Dhammananda suite à une opération lourde ont été réglé par son médecin lui-même. Grace à la tenacité de ces femmes et avec le soutien des croyants et du Dalaï Lama lui-même, il est bien probable que l'ordre des Bikkunis soit bientôt reconnu par les derniers conseils monastiques encore réticents.

Vidéo reportage sur les Bhikkunis (en anglais):


Sources: http://thediplomat.com/2014/05/the-rise-of-buddhist-feminism/?img=5#postImage
http://awakeningbuddhistwomen.blogspot.nl/2013/07/a-female-dalai-lama-why-it-matters_29.html

dimanche 11 mai 2014

Grace Murray Hopper, informaticienne de génie et amirale de la marine américaine

Grace Hopper
Amirale Dr. Grace Murray Hopper
Si les membres de l'armée ne sont pas souvent reconnus pour leur prouesses intellectuelles (et ce à tort), l'Américaine Grace Murray Hopper reste l'exemple contemporain le plus fracassant de militaire dont le génie à su pousser en avant les recherches scientifiques et l'évolution technologique. L'amirale Grace Hopper n'est autre que l'inventrice du premier compilateur informatique, un programme permettant de traduire le code source (binaire) dans un langage de programmation plus accessible afin de faciliter le travail de programmation. En somme, Grace Hopper, surnommée "Queen of Software" ou encore "Grandma COBOL" (langage informatique qu'elle a développé) a posé les bases de la programmation informatique moderne.

Grace Hopper sur le plateau du "David Letterman Show" (en anglais)

Rencontre avec le premier ordinateur durant la Seconde Guerre Mondiale

Photo
Grace Hopper et ses collègues travaillant sur le Harvard Mark I
Née en 1906 à New York, Grace Hopper étudie puis enseigne les mathématiques et la physique au Vassar College et obtient son doctorat en mathématiques en 1934 à la prestigieuse université de Yale dans une promotion comptant uniquement dix doctorants (dont trois autres femmes). Il est à noter que le doctorat était un acomplissement beaucoup plus rare à cette époque qu'il l'est aujourd'hui. Elle reste professeur de mathématiques au Vassar College jusqu'à 1943, année où elle décide de participer à l'effort de guerre, les Etats-Unis ayant rejoint le conflit de la Seconde Guerre Mondiale en 1941 après l'attaque de Pearl Harbor par les Japonais. Elle intègre d'abord une école de réserve volontaire navale (United State Naval Reserve Midshipmen's School) où elle reçoit sa formation militaire puis elle rejoint une équipe de techniciens et scientifiques à l'Université de Harvard où l'on travaille sur le tout premier ordinateur numérique d'Amérique, le Harvard Mark I et Grace en écrit le manuel d'utilisation. Elle rejoint définitivement l'équipe du laboratoire d'informatique d'Harvard à la fin de la guerre.

Pionnière et visionnaire œuvrant pour la démocratisation de l'ordinateur

File:Grace Hopper and UNIVAC.jpg
Hopper travaillant sur l'UNIVAC I en 1960.
Pour Hopper, le Harvard Mark I s'apparente à un gadget, comme les réveils de poche de son enfance qu'elle démontait afin d'en comprendre le fonctionnement. Troisième programmatrice de cet ordinateur (et de ce fait, troisième programmatrice américaine de l'Histoire), sa fascination et sa persévérance, elle obtient sa première distinction militaire pour le développement naval grâce à son travail sur le Mark I, II et III. Néanmoins, Hopper, visionnaire, voit dans ces ordinateurs (pesant plus de cinq tonnes !) non pas une technologie exclusivement militaire mais un outil dont l'usage gagnerait à être démocratisé pour les entreprises civiles. Problème: le langage binaire utilisé dans le code source de la machine est incompréhensible pour un cerveau humain, il faut trouver un moyen d'en simplifier l'usage. En 1949, elle tente le tout pour le tout et fournit à certaines entreprises leurs premiers ordinateurs. Elle travaille alors sur l'UNIVAC I, premier ordinateur commercial, et encourage les programmeurs à partager des portions de code entre eux afin de gagner du temps et de faciliter la programmation. Ces toutes premières bibliothèques logiciellesrédigées à la main sont un gain de temps mais pour Hopper ce n'est pas suffisant. Il faut trouver un moyen de rendre le codage plus facile afin de rendre les ordinateurs populaires dans les entreprises. C'est à ce moment qu'elle décide de développer le tout premier compilateur utilisant la bande magnétique en 1952. Elle associe les codes binaires à des commandes qui, lorsque tapées sur l'ordinateur, sont recherchées par le programme afin de lancer le code, ce qui économise l'effort de taper le code entier. Aussi, cette invention n'est que le début puisque Hopper décide de pousser le concept encore plus loin en créant un langage informatique utilisant une synthaxe spécifique au codage mais utilisant des mots anglais pour désigner chaque commande. Ce langage appelé "FLOW MATIC" est donc le premier langage informatique qui servit plus tard de base pour la création du langage COBOL (dont elle participera au développement) en 1959, langage le plus utilisé par les entreprises encore de nos jours. Hopper réussit donc son pari: en créant le premier langage informatique , elle démocratisa véritablement l'usage des ordinateurs en ouvrant les portes de l'informatique aux utilisateurs n'ayant pas de diplôme de mathématiques.

Carrière et récompenses

Hommage à Grace Hopper sur les murs du Hagley Museum
Hopper continua son travail à Harvard et aida la marine américaine à développer les premiers programmes en COBOL. Elle fit aussi beaucoup de promotion auprès des entreprises pour les convaincre d'acquérir ses ordinateurs. Elle travailla comme consultante pour les entreprises et forma les premiers étudiants en informatique. Elle continua à servir dans la marine jusqu'en 1986 alors qu'elle était l'officier active la plus vieille (tous sexes confondus). Elle donna de nombreux discours et conférences tout au long de sa carrière afin de partager son expérience et ses connaissances. Elle reçu en 1969 la toute première récompense de la "Data Processing Management Association" en tant que "Homme de l'année"(!) dans la catégorie informatique. En 1971, la Sperry Corporation créa une récompense nommée en son honneur afin de récompenser les jeunes informaticiens ayant contribué au développement de l'informatique. En 1973, elle fut la première Américaine mais aussi première femme à être nommée membre distingué de la British Computer Society. Elle continua de travailler comme consultante et lectrice jusqu'à sa mort en 1992 à l'âge de 85 car selon elle, la plus belle récompense était de pouvoir former des étudiants et partager son savoir. "La chose la plus importante que j'ai accomplie, mis à part créer le compilateur, c'est d'avoir formé des jeunes gens. Ils viennent à moi et disent "pensez-vous qu'on puisse faire ça?" et je leur dis "essaye !". Je les encourage, ils en ont besoin. Je garde contact avec eux au fil des années et continue à les pousser afin qu'ils n'oublient pas de prendre des risques." 

Source: http://www.cs.yale.edu/homes/tap/Files/hopper-story.html

En savoir plus sur les femmes ayant contribué au développement de l'informatique? Voici quelques noms :

Susan Kare : développeuse de l'interface Mac (pour laquelle Steve Jobs reçoit si souvent les lauriers...) 
Hedy Lamarr : développeuse de la technologie sans fil et ... actrice !
Ada Lovelace : la première programmeuse, écrivant le premier algorithme en 1843 alors que l'ordinateur n'existait pas encore...
Mary Lou Jepsen : spécialiste du développement d'écrans, fondatrice de MicroDisplay et de l'organisanisation caritative One Laptop Per Child visant à fournir des ordinateurs bon marchés, écologiques et adaptés aux enfants
Roberta Williams : pionnière du jeu vidéo sur ordinateur
Radia Perlman : appelée un peu abusivement "la mère d'internet" mais développeuse de la technologie Ethernet ayant fortement influencé son développement
Dr. Erna Hoover : programmeuse dont le travail a révolutionné la téléphonie
Marissa Mayer : première femme ingénieure du moteur de recherche Google en 1999
Barbara Liskov : l'une des premières doctorantes en informatique, programmeuse d'Argus

Pour en savoir plus (en anglais) : http://www.biztechmagazine.com/article/2012/05/mothers-technology-10-women-who-invented-and-innovated-tech