vendredi 14 mars 2014

(vidéo) Elaine Morgan et la remise en question de l'homme-chasseur

Certains auront du mal à faire le lien entre les Femmes Guerrières et cet article: si je vous parle d'Elaine Morgan, c'est parce que son histoire m'a fait comprendre à quel point notre perception est souvent déformée à cause de nos préjugés, notamment sur la question des rôles genrés, et que même les scientifiques et historiens peuvent projeter leurs propres désirs sur les découvertes qu'ils font. Cet article est donc lié aux Femmes Guerrières dans le sens où il traite de la vision érronée qu'on peut avoir du passé en fonction des valeurs de notre société actuelle.

Dans les années 60, Elaine Morgan publie un livre très controversé remettant en question les théories de l'évoluion de l'Humain. Selon cette femme au foyer galloise, les scientifiques sont influencés par une vision machiste de l'Être Humain et leur interprétation de l'origine de l'Humain en serait donc grandement biaisée. Elle fait la promotion de sa propre théorie : l'Être Humain descendrait d'un singe aquatique. Bien qu'ayant peu de preuves afin de soutenir sa thèse, le débat que Morgan a ouvert aura eu le mérite de poser les bonnes questions sur la validité d'une théorie communément considérée comme acquise et sur la subjectivité dans le travail scientifique en général.

Pour voir une récente vidéo d'Elaine Morgan s'exprimant sur l'évolution de l'Être Humain, je vous invite à cliquer ici. (vidéo sous-titrée publiée par TED)



L'origine de l'Être Humain, un grand puzzle aux nombreuses pièces manquantes


L'origine de l'Être Humain et de ses caractéristiques si particulières restent très souvent à débat et pour cause: les trouvailles archéologiques et les analyses génétiques ne nous donnent que des petits morceaux d'un grand puzzle dont l'image nous reste à interpréter. Le problème, c'est que nos croyances et idéologies déteignent sur nos interprétations, un bon exemple est le débat sur la théorie de l'évolution aux États-Unis que reste contestée par une partie de la population. C'est ce qu'illustre le débat qui a eu lieu dans la deuxième partie du XXe siècle sur l'origine de la bipédie humaine et qui donne un bon exemple de comment des théories considérées comme valides peuvent se retrouver du jour au lendemain balayées par l'apport de nouveaux éléments et, inversement, comment des théories farfelues qui peuvent finalement mener à de nouvelles pistes et interprétations faisant avancer les découvertes scientifiques.



La théorie de la savane, une théorie majeure ayant influencé notre perception des premiers Humains


Raymond Dart et le crâne de
l'australopithèque "Taung Child"
Parmi les nombreux traits uniques qui caractérisent les humains (la main préhensile, la quasi-absence de poils, les capacités intellectuelles et sociales hautement supérieures aux animaux), la bipédie qualifie la capacité et préférence des êtres humains à se déplacer sur ses deux membres inférieurs. Les archéologues recherchent donc intensivement des indices au niveau de l'ossature des êtres humains et de leurs ancêtres afin de pouvoir dater et situer le moment où nous avons commencé à marcher sur nos deux jambes, et non plus sur quatre membres comme les autres primates, afin de pouvoir en déduire quelles ont été les causes de ce changement. C'est pour cette raison que l'australopithèque, primate hominidé partiellement bipède, a été considéré comme le chaînon manquant de l'évolution de notre espèce. La découverte de l'australopithèque en 1924 a permis de formuler de nouvelles théories concernant les causes qui ont amenées l'humain à évoluer. L'une de ces théories est celle du singe tueur du Dr Raymond Dart selon laquelle la nature si spécifique de l'Humain est lié à la guerre et à la violence car les ossements retrouvés d'animaux montraient de grandes fissures qui ne pouvaient être causées que part l'attaque d'une arme rudimentaire. L'Etre Humain serait donc selon Dart défini par sa capacité à fabriquer et utiliser des armes et serait carnivore par nature. Cette hypothèse a servi de support à la théorie de la savane, une théorie expliquant les causes de la bipédie chez l'Humain et qui a été perçue comme valide pendant plus de quarante ans.

La savane africaine où les Humains n'ont finalement pas
appris à marcher sur leurs deux jambes !
La théorie de la savane a été dominante pendant des décennies et était enseignée dans les écoles et universités. Selon cette théorie liée à la théorie du singe tueur, l'Humain aurait commencé à se déplacer sur ses deux jambes parce que les arbres se faisaient de plus en plus rare, laissant place à la savane. La disparition des arbres et donc de leurs baies qui constituaient le régime alimentaire de nos ancêtres nous ont donc poussés à trouver un nouveau moyen de se nourrir : la chasse. La bipédie serait donc liée au changement de régime alimentaire, passant de frugivore à carnivore. La théorie de la savane a également influencé notre perception du mode de vie de nos ancêtres : l'image de l'Homme-Chasseur naît et croît dans l'inconscient populaire.


Elaine Morgan et sa théorie de du Singe Aquatique


L'élephant, un autre animal qui serait retourné
à l'eau comme les mammifères marins avant de
 finalement revenir sur la terre ferme
Bien que cette théorie avait ses failles (la perte de poils rendant notre peau vulnérable au soleil tapant de la savane, le fait qu'aucun autre animal de la savane ne s'est mis à marcher sur ses deux jambes), elle était généralement acceptée par les scientifiques et très peu de personnes tentèrent de présenter de nouvelles théories. C'est dans ce contexte que Elaine Morgan, inspirée par le zoologue Desmond Morris, présenta sa propre théorie: la théorie du singe aquatique. Selon Morgan, l'évolution de l'Être Humain a à un moment donné vécu en milieu semi-aquatique, ce qui expliquerait son évolution et ses nombreux traits caractéristiques qui sont en fait très proches des mammifères marins : l'absence de poils, la couche de graisse extérieure (la graisse se répartie différemment chez les autres mammifères terrestres), le fait que les bébés savent nager dès leur naissance mais sont incapable de se déplacer sur la terre ferme, notre intelligence plus développée qui aurait bénéficié d'une nourriture riche en oméga 3 (poisson et algues). Accessoirement, l'environnement aquatique aurait permis à l'Humain d'adopter la marche bipède tout en douceur. Ces idées séduisantes sont à l'opposé de la théorie de la savane pour une autre raison : l'Être Humain ne serait donc pas carnivore mais un cueilleur-pêcheur, sa nature ne serait donc pas violence et guerrière et la théorie du Singe Tueur avec toute l'imagerie de l'homme-chasseur est remise en question. Le problème, c'est que Morgan n'était ni biologiste, ni archéologue mais romancière et bien évidemment, sa théorie a été accueillie avec beaucoup de mépris par les membres de la communauté scientifique : selon eux, Morgan prendrait ses désirs pour des réalités car l'image macho de l'homme-chasseur et de sa femme relayée aux tâches domestiques déjà si tôt dans notre (Pré-)Histoire lui est déplaisante car sexiste. C'est là que la beauté de l'ironie apparaît : après avoir moqué Morgan, la théorie de nos éminents scientifiques vola en éclat par la découverte d'ossements de primates bipèdes plus vieux que la savane elle-même et il s'avère donc que ces Messieurs aussi avaient basé toute leur théorie sur des préjugés : Raymond Dart à vu dans les ossements d'australopithèque ce qu'il voulait y voir : un Singe Tueur.

La théorie d'Elaine Morgan a fait néanmoins beaucoup de vagues dans les médias : ses livres furent un succès commercial et son humour acerbe pointant du doigt la partialité et le sexisme dont les scientifiques étaient emprunts attirèrent la curiosité de nombreuses personnes. La théorie de la savane étant écartée pour de bon, les scientifiques se mettent à rechercher de nouvelles pistes en analysant les données et indices avec un nouveau regard



A la recherche de nouvelles hypothèses


Bien que la théorie de Morgan ne soit pas prouvée scientifiquement et soit influencée par les idéologies de cette dernière, certains scientifiques commencèrent à s'intéresser à la possibilité d'une évolution de l'Humain liée à un environnement semi-aquatique. En effet, la découverte en 1974 de Lucy, premier fossile d'australopithèque relativement complet, au Nord de l'Afrique donna de l'eau au moulin à la piste aquatique de l'évolution bipède de l'Humain car cette région est sujette aux inondations. Un grand nombre d'ossements australopithèques parmi les plus vieux retrouvés ont été trouvés dans cette même région, ce qui pousserait à croire que l'Humain aurait pu commencer à marcher sur ses deux jambes à cause d'un environnement marécageux.

Aujourd'hui, la question reste ouverte et il existe plus d'une dizaine d'hypothèses tentant d'expliquer la bipédie de l'Être Humain. Il est très peu probable que la vision de Morgan soit exacte, mais cette histoire reste néanmoins intéressante afin de comprendre comment les justifications théoriques sont, quoi qu'il arrive, toujours influencées par nos croyances et notre imagination. Les scientifiques adhérents à la théorie du Singe Tueur étaient tout autant influencés par des préjugés que Morgan l'était par sa vision romancée du Singe Aquatique. Les leçons à tirer de ce débat sont fondamentales afin de comprendre la nature de la recherche scientifique :


-les sciences, que cela soit la biologie, la physique, l'astronomie mais aussi l'Histoire et les autres sciences humaines sont en constante évolution. De nouvelles découvertes peuvent bouleverser ce qui était considéré comme établi.

-l'Histoire de l'Humain est tout sauf linéaire : il n'existe pas de cause unique ou de « raison » à l'évolution de l'Humain mais des causes plurielles expliquant de différentes évolutions de l'Humain qui ont menées à ce que nous sommes aujourd'hui. Selon les mots d'Yves Coppens, « à partir du grand carrefour d'il y a 8 à 10 millions d'années qui aboutit à la séparation des lignées des grands singes et des êtres humains, s'épanouit un vrai bouquet de pré humains dont Lucy est une des fleurs »

-il faut être conscient de notre subjectivité. Il est impossible d'écrire une Histoire objective puisque l'Histoire est toujours écrite par des hommes ou des femmes et est donc vue à travers d'un prisme déformant. Il est donc normal que l'Histoire évolue et que les éléments (archéologiques ou écrits) soient constamment réinterprétés, c'est même plutôt une bonne chose puisque avec du recul, nous pouvons identifier de mieux en mieux ce qui relève du parti pris et cela nous permet de se rapprocher de la vérité

-il faut promouvoir l'intérêt scientifique auprès de la population : Bien que certaines théories soient infirmées, l'interprétation populaire qui en découle peut avoir la vie dure. La théorie du Singe Tueur a été écartée mais l'image de l'homme-chasseur et de la femme-cueilleuse reste encrée dans les esprits et sert de support au préjugé selon lequel la répartition des tâches est aussi vieille que les premiers Humains. Il est donc nécessaire pour la communauté scientifique et pour les médias de tenir la population régulièrement au courant des nouvelles découvertes, sans quoi nous en serions encore à croire que la Terre est plate.


-il est nécessaire de garder un esprit ouvert : les scientifiques ont dénigré Elaine Morgan car elle n'était qu'une simple femme au foyer galloise romancière à ses heures perdues. Le cour des choses a fait que ces scientifiques au moins tout autant dans l'erreur et étaient aussi influencés par leurs croyances. Ce n'est pas parce qu'une idée est fantaisiste qu'elle ne peut pas mener à de nouvelles découvertes. Pendant longtemps, l'on pensait que la ville de Troie était une légende jusqu'à ce qu'elle fut découverte par un riche négociant allemand. De la même manière, de nombreuses personnes recherchent aujourd'hui encore l'Atlantide bien que la ville utopique ait été inventée par Platon afin d'illustrer un propos sur la chute de la République Athénienne. Il faut donc pouvoir rester critique mais être aussi capable d'accepter la possibilité que des théories mineures ou fantaisistes aient quelque chose à apporter au débat et que rien n'est écrit dans le marbre.


Source: documentaire de la BBC sur Elaine Morgan


1 commentaire:

  1. Bonjour j'ai beaucoup apprécié cet article (de même que d'autres sur ce blog), c'est vraiment génial à lire, complet, construit et j'espère que tu vas continuer.
    Seul petit détail, l'Atlantide n'est pas une invention, cela est devenu une légende mais elle a une base, la civilisation minoenne (il y a des docu sur youtube super à ce sujet notamment celui de Civilisations disparues).
    Bonne continuation, NSF Maneeya.

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